Le peuple du blues
Extraits : Le Roi Jones
Le chant, un voyage de l’Afrique à l’Amérique, une quête identitaire.
« En 1619, on importe des Noirs qui pour la première fois sont destinés à demeurer ici (et non pas à être liquidés une fois leur besogne faite). On sait que les Africains de l’Ouest qui ont fourni près de 85 % des esclaves, ne chantaient pas le blues.
Les premiers esclaves africains, lorsqu’ils travaillaient dans les champs, chantaient ou criaient en quelque dialecte purement
africain (dérivé du bantou ou du soudanais…)[…] Mais aucune trace de chants à 12 mesures de type AAB[…]
Le trait le plus saillant de la musique africaine est un chant pour voix principale avec chœur , avec alternance d’une phrase maîtresse et d’un refrain[…] Mais le Noir américain quand a t-il surgi ? […]
Je suppose qu’on a le droit d’appeler Noir américain tout Africain qui a été transporté ici sans aucune chance de jamais en repartir […]
Les premiers esclaves n’ont pas cru qu’ils étaient ici pour toujours, ils se sont considérés comme simple captifs[…] Ils étaient étrangers[…] et tout ce qu’ils ont connus des coutumes ou des moeurs occidentales était que chaque matin, à une certaine heure, il y aurait un certain travail à faire et qu’on leur demanderait probablement de le faire. […]
Quand l’Amérique a pris pour l’Africain assez d’importance pour qu’il en transmette quelque chose à la jeunesse, dans un de ces modes formels, c’est une sorte de langue afro-américaine qu’il a employée. Et finalement, quand un homme a levé la tête dans quelque champ anonyme pour crier :
« Oh, j’en ai maah d’ cette mé’asse. Oh oui, c’que j’en ai maah d’cette mé’asse » ,
on peut être sûr qu’il était Noir américain. »
Le peuple du blues Gallimard, 1963