L’origine du répertoire

fleuron_feuille_blackthe land where the blues began - prisons blues

 

Chanter le blues…

Depuis longtemps j’avais envie de chanter des blues.


Je ne voulais pas faire du « déjà fait », reprendre des airs connus… Je voulais voir « ailleurs ».


Auparavant, j’avais fait, entre autres, du chant populaire et polyphonique  italien et j’avais eu connaissance des enregistrements réalisés dans les campagnes italiennes par un ethnomusicologue américain, Alan Lomax.


Alors je suis allée voir du côté de ses collectages faits en Amérique et plus particulièrement ceux de la région du Mississippi. Et là j’ai découvert une mine d’or : des chants populaires uniques de différentes communautés, afro américaines, blanches, d’origine irlandaise… Des chants  interprétés par des paysans, des travailleurs, des mères de familles, des gens pas du tout connus…, et qui livraient dans leurs airs, une poésie populaire.


Parmi les chants afro-américains, il y avait ceux de prisonniers enregistrés dans des prisons, dans des camps de travail. J’ai été très émue en découvrant ces merveilles : des chants principalement A Capella, rythmés par une hache qui s’abat sur un tronc ou une houe qui retourne la terre ; un meneur qui lance un appel et le groupe qui répond ; ou simplement une voix seule au fond de sa cellule qui entonne son histoire et termine avec un grand rire !


Des chants lumineux, remplis d’énergie, porteurs d’espoirs, de désespoirs, de vie, des mélodies subtiles, fines et ornées de mélismes…


Des voix timbrées aux couleurs tonales riches et variées, des voix qui modulent sous l’effort d’une tâche, des voix qui expriment, qui gémissent, qui rigolent, qui chantent !!!


Des voix pas encore « pasteurisées », des voix intègres révélant la personnalité du chanteur, le sentiment qu’il veut nous donner…


Des voix aux origines du blues, du rock et de la musique en général !


Et puis j’ai cherché d’autres vieux blues, faisant résonance avec les chants de travail, et j’ai découvert
:

La voix rocailleuse de Bukka White, un ancien prisonnier de Parchman Farm (prison d’état), racontant sa détention et son espoir de retour à une vie libre.


L’extrême sensibilité de Skip James, qui pour quelques dollars en 1930, a gravé des blues, d’une finesse mélodique subtile, parlant de la misère et de la vie difficile du peuple noir !


L’impertinence de Memphis Minnie, une chanteuse-guitariste (rare à l’époque) qui apporta dans le courant du « Chicago Blues » (le blues plus moderne), une note rurale et une poésie aux images osées.


Le blues rural de Fred Mc Dowell, paysan le jour pour gagner sa vie, et le soir chantant sous la lune, ses déboires conjugaux.


Et d’autres encore…


Comment interpréter  ces chants ?

J’aime le travail vocal, j’aurais pu les chanter A capella… Mais pourquoi les reprendre ? Autant écouter les originaux, ce sont des pépites d’or ! Ils sont liés à une fonction (travail, berceuse, danse, complainte…) et c’est leur valeur !


Et puis, j’avais envie d’y inclure une guitare ou des instruments…

Au début, je suis restée très proche des originaux, respectant, les mélodies, les silences, la distribution des couplets, les arrangements. C’était un peu un comme un « copier-coller ».
Sauf… que je ne suis pas noire américaine et que je n’ai pas vécu la vie de ces artistes anonymes.


En explorant ce répertoire, je me suis rendu compte, que cette musique fait écho, à tous ces gens qui volontairement ou involontairement, jetés au fond d’une cale de bateau, ou par nécessité de survie…, ont découvert un autre continent, un autre pays et ont dû s’adapter ! S’adapter, à une nouvelle vie, à de nouveaux visages, à une nouvelle culture, à de nouvelles règles de vie, à de nouvelles contraintes, à une autre cuisine… à un exil « forcé »…


Certains ont chanté, joué de la musique, pour rendre leur vie moins dure, pour se donner du courage, pour ne pas oublier, pour se faire du bien ! Cela leur a permis d’endurer l’enfer, de trouver le temps moins long, de leur donner une possibilité de résister face à la barbarie, aux humiliations, aux privations, aux maltraitances… Cela leur a permis d’avoir une identité, d’exister et de se sentir « un être humain » !


La musique populaire a une force unique, c’est de se « faire du bien ». Il n’est pas question de beau ou de moche.

En reprenant ces chants, j’ai eu envie de me faire du bien, de me faire plaisir, de saluer toutes ces femmes et ces hommes qui m’ont émus par leur chant, leur musique, leur poésie.


Je m’accompagne à la guitare et ainsi je peux transmettre l’énergie des morceaux. La guitare d’Éric avec une palette mélodie impertinente et élégante, répond à ma voix. La contrebasse et les percussions, enrichissent la structure mélodique des morceaux et donnent un appui rythmique à ces recompositions. Je suis ravie de faire cette musique avec Éric, Jean Pierre et Freddy. Un réel partage, une joie, une énergie, une écoute, une simplicité et un plaisir de jouer ensemble :


Un blues psychédélique, atmosphérique, expérimental, jazz, rock, world-musique… Un peu tout ça !


Ce blues joué aujourd’hui, est traversé par :


Un répertoire original empreint d’une forte humanité.
Une fine équipe de musiciens doués.


Mes influences musicales au gré des rencontres, des voyages, des années de découvertes musicales :


De l’Italie, passant par les Balkans, visitant l’Inde et retrouvant la terre Africaine ; Du blues intime des années 60, au blues des années 70, pour rencontrer la musique actuelle…


Ma voix, que j’ai appris à dompter et à se laisser aller : tantôt blues, rock, jazz, douce, âpre, rauque, subtile, déchainée, sauvage, jouant de la glotte avec les notes, avec les mots, s’amusant avec les vibrations du gosier pour donner, des couleurs variées et des intentions sans cesse renouvelées et surprenantes.


Et pleins d’autres choses…


Je souhaite que cette musique actuelle, fasse du « bien » à l’auditeur, comme elle me fait du « bien », et qu’elle trouve sa fonction !



Chantal Laxenaire